Ces conversations qui n’en sont pas.
Quand on décide de se mettre en retrait, l’observation silencieuse est un atout d’une redoutable efficacité. Surtout quand il s’agit d’analyser nos comportements.
Commençons par la définition du mot conversation : « Échange de propos entre plusieurs personnes sur un ton généralement familier. » (Larousse)
Je n’ai pas rêvé, il est bien question ici d’échange. Pourtant, ces conversations que j’observe — ou que je subis parfois — sont aussi loin de la définition originelle du dictionnaire que ma regrettée jeunesse de l’année 2024.
La plupart du temps, lors d’une discussion, chacun déverse sur l’autre ce qu’il a dire de sa personnalité, de sa vie, de ses accomplissements et de ses problèmes, de la façon la plus rapide et la plus dense possible. Souvent l’interlocuteur répond de la même manière, par une série équivalente de « moi, je » où les propos finissent de part et d’autre dans une espèce de vomissoir invisible suspendu entre eux.
On assiste alors à un monologue travesti qui n’en finit pas.
Et, miracle de la démultiplication, cet étrange phénomène fonctionne aussi en groupe où tour à tour, sur un sujet donné, chacun va se targuer d’un « moi aussi » ou d’un « moi non » suivi de propos aussi égocentrés les uns que les autres.
Le Graal pour ce type de personne est de tomber sur quelqu’un doté d’une grande capacité d’écoute et d’un intérêt sincère pour l’autre. Ce qui peut devenir un défaut plus qu’une qualité. On m’a longtemps décerné « L’oreille d’or », statuette peu convoitée dont je me serais bien passé. Plus jeune, je ne savais pas comment éviter ce déferlement de palabres qui me réduisait à un vulgaire crachoir sans autre importance que sa fonction primaire. Il faut dire mon estime de moi était à la hauteur de ces piètres conversations. Et, par conséquent, ma responsabilité restait aussi engagée que la leur dans ce fiasco relationnel.
Mais, l’un des grands… pardon, des rares avantages de l’âge est de savoir comment se soustraire à l’ensevelissement verbal. Ne restent à disposition que la fuite, l’évitement et/ou la mise à distance de ces personnalités. L’expérience ne laisse pas d’autre choix. Ils écoutent si vous leur parlez d’eux, ils n’écoutent pas si vous percez leur monologue par effraction et tentez d’en placer une.
Mais pourquoi, et comment est-ce possible? me demande-je quand même. Car il faut se poser la question.
Certes, cette attitude ne date pas d’hier, elle reste aussi humaine que l’erreur et la nature le sont. Oscar Wild disait à ce sujet : « La plupart des gens écoutent avec l’intention de répondre, non d’entendre. » Quant à Michel de Montaigne, il l’évoquait dans ces termes : « C’est une piteuse conversation que celle où n’entrait que la voix d’un côté. »
La pire des explications m’a été donnée un jour par une « amie » à durée limitée. Elle déroulait des kilomètres de phrases sans se soucier de l’entourage qui, à mesure que le temps passait, perdait la foi et l’envie de vivre. Elle assumait son comportement ainsi : « Je ne parlerais pas tout le temps si les gens avaient des choses intéressantes à dire ! » Je suis donc allée raconter mes inepties soporifiques ailleurs.
On trouve aussi dans cette catégorie les narcissiques, les égos démesurés et les vantards qui cachent leur insécurité en étalant leurs succès. Le « j’ai fait ceci », « je possède cela » ou « j’ai bien connu Patrick Topaloff », le tout rabâché et disséqué en boucle pour se mettre en avant — voire écraser l’autre —, est pour moi aussi impressionnant qu’un adulte qui excelle au diabolo.
Vient ensuite les conversations que je fuis comme la peste, celles qui, en plus d’être sans fin, sont dominées par le jugement et la médisance.
Goethe disait à ce sujet : « Le jugement sévère des autres est souvent le complément du jugement sévère de soi-même. »
Juger n’est rien d’autre que la projection sur son voisin de ce que l’on déteste de soi et de son quotidien. C’est aussi simple que ça.
Mais comme juger est plus facile que penser et se remettre en question — ce qui veut dire aimer et accepter ses côtés sombres, et/ou travailler à améliorer ceux que l’on ne veut pas garder — , on va démonter, jalouser et critiquer tout ce qui passe. Jusqu’à sa propre vie qui ne bénéficiera non plus d’aucune indulgence.
J’ai maintenant une profonde aversion pour la médisance. Je sais pour l’avoir pratiquée plus jeune (comme tout le monde) qu’elle n’apporte que misère et embrouilles. Après une multitude de claques et de retours de bâtons, j’ai compris qu’il fallait que je change et que je supprime ce comportement nuisible si je voulais voir ma vie s’améliorer.
Enfin, il reste des raisons plus complexes, où un changement et une évolution positive restent également possibles. Certaines personnes ne parlent que d’eux par crainte, par peur d’entendre des choses pouvant provoquer des émotions trop difficiles, trop pénibles à gérer. Envahir l’espace de parole permet ainsi de se protéger, tant bien que mal, de son interlocuteur. Il peut s’agir aussi d’un syndrome plus insidieux lié à l’anxiété, voire une logorrhée, qui est en psychiatrie un trouble du langage caractérisé par un flot de paroles rapide, long et diffus. Ce qui, dans ce cas, demande de faire appel à des professionnels.
Ou tout simplement, pour conclure cette humble tentative d’explication, l’individu espère, en se comportant de la sorte, ne pas disparaitre dans l’indifférence existentielle du monde rude dans lequel il vit. Parler, marquer les esprits, entrer dans les souvenirs de l’autre, tout faire pour ne pas s’éteindre comme la flamme vacillante d’une bougie dans un courant d’air froid.
Mais quand on se déverse sans jamais écouter l’autre ni se soucier de l’état dans lequel ça peut le mettre, on a aussi affaire à un certain manque de politesse et d’éducation, il faut le dire. Et à un manque de respect. À l’ère du selfie et de l’individualisme poussé, la tendance semble hélas s’aggraver. L’empathie n’est pas une capacité, mais un outil à disposition de tout le monde. Pourquoi alors ne pas l’utiliser?
L’effort de changer serait-il à ce point si difficile, voire impossible pour certains ?
Réussir à s’aimer sans condition c’est, comme je le disais, accepter ses défauts, ses névroses, et ses incapacités. Car, sans vouloir paraitre new-âge-écolo-baba-cool-en-sandales-à-deux-balles, l’amour finalement reste la clé et la bonne réponse à tout : l’amour de soi, puis des autres par extension logique et karmique.
Refuser de changer, c’est accepter de continuer à avoir une existence pas aussi agréable qu’on le voudrait.
En écoutant et en creusant les récits des gens, j’en ai appris plus sur la vie que dans les livres. Certaines anecdotes ont inspiré mes romans, certains conseils ont améliorés ma vie, certains parcours de vie ont influencé le mien.
Pour en revenir à la définition du Larousse, la conversation est un échange. Il doit rester équilibré et bien élevé, et ce dans les deux sens du terme.
On n’apprend rien en s’écoutant parler.
À bon entendeur…
SYLVIE BARDET
CONTACT :
Instagram : @thrillersbardet
Twitter : @sylviebardet
Facebook : @sbardet
https://sylviebardet.com/