Le bel amour
La crainte de vivre une nouvelle expérience est bien plus dangereuse et douloureuse qu’une peur surmontée. Beaucoup d’êtres blessés s’enlisent dans ce marécage stagnant parce que rassurant.
La peur de souffrir est un mal lent et insidieux. Elle inflige toutes sortes de frustrations, de manques, de confusions et pire que tout, la totale privation des plaisirs et des découvertes qu’une histoire vécue pourrait apporter.
Certes notre cerveau, conçu pour nous protéger et nous maintenir dans notre zone de confort, déploie une palette de « bonnes » raisons pour nous détourner de ce bel et grand amour qui pourtant nous tend la main : un divorce difficile, une rupture sur fond de mensonges et de trahisons, un cœur tellement brisé que ses éclats tranchants lacèrent chaque jour un peu plus notre capacité à agir.
Mais pas seulement.
La peur revêt diverses formes qui finissent par s’engluer les unes aux autres : celle d’être jugé, l’image que l’on se doit de donner, croire à tort que l’on ne sera pas à la hauteur, la crainte de se lancer dans une aventure inconnue, sans repères ni retenue.
Toutes ces raisons sont valables, mais elles le sont uniquement dans le triste monde des automatismes où rien de risqué ni de merveilleux n’est possible.
Alors qu’en est-il de ce fameux cœur muselé ? Celui qui vibre au contact de l’être secrètement aimé, qui nous trouble au point de nous désorienter, de nous effrayer. Faut-il ignorer son appel à aimer, à être aimé, faut-il l’enfouir dans la somme de nos peurs comme une vulgaire attirance dont on voudrait se débarrasser ?
L’amour, l’eau, la vie, l’univers, tout est énergie.
Les connexions effraient quand sont profondes, quand elles vibrent sur la même fréquence. Elles se produisent rarement, seulement quand deux êtres se trouvent et se reconnaissent. Reconnaître l’autre, c’est le connaître sans jamais lui avoir vraiment parlé, c’est le lire comme un journal intime, c’est le voir et l’aimer tel qu’il est, avec son ombre et sa lumière, son courage et ses vulnérabilités. On ne lui trouve aucun rival, on ne lui veut aucun mal, on a beau essayer, quoi qu’il fasse, on ne cesse de l’aimer.
Ne pas s’engager dans une telle aventure par peur de souffrir entraîne des conséquences bien plus dévastatrices que si l’on vivait tout simplement ladite histoire.
On laisse le temps passer, en espérant que l’amour s’en ira, que le désir s’estompera. Mais ces amours-là ne s’en vont pas, plus on leur résiste, plus ils persistent disait Carl Jung. La beauté, la magie, le merveilleux que de telles rencontres devraient provoquer — si elles sont vécues — finissent par se transformer en ressentiments, en longs silences imposés, elles se heurtent à la brutalité des indifférences jouées, à celle du chaud et du froid, basculent dans l’amertume et chacun se perd dans la confusion de l’autre. La communication ne se fait plus que par signes, effleurements et autres sous-entendus laborieux. Cela n’a aucun intérêt. Rien n’est clair, on s’y perd, on n’y comprend rien. Et tout le monde souffre.
Dur avec soi, on devient dur avec l’autre.
Au lieu de tout simplement l’aimer.
La pureté initiale de ce bel amour périra lentement, sournoisement, il sera sali par le doute et la peur, au point que l’un de ces deux cœurs finira par s’éteindre. De dépit, de tristesse et de lente agonie. C’est ce que l’on appelle un beau gâchis.
Tout ce que l’on a pas su dire ou faire rejoindra les sombres étagères de nos regrets bien rangés, bien poussiéreux et bien inutiles.
Alors quel est le pire scénario ? La difficile et longue souffrance d’une histoire d’amour niée et étouffée, ou l’éventuelle souffrance d’une histoire vécue, avec la forte probabilité qu’elle soit heureuse, peu importe sa durée.
Une existence presque sans souffrance est possible quand on est devenu expert dans la dissolution de ses émotions négatives, de ses tourments. C’est réalisable, mais il faut une volonté pour y parvenir.
Et s’il fallait souffrir. Après tout. Souffrir d’un bonheur que l’on aurait perdu, parce que justement on a eu la chance et le courage de le vivre dans toute sa beauté, dans toute son intensité.
Cette souffrance tellement crainte qui pourtant, comme le temps, finira par passer. Et s’effacera plus rapidement que notre insistance à résister. Car accepter la souffrance, c’est s’en détacher, s’en libérer avec une rapidité qui continue à m’émerveiller.
Les forteresses dans lesquelles on s’enferme n’offrent que d’étroites ouvertures d’où l’on regarde passer nos plus belles opportunités, nos plus belles années.
La vie nous est comptée.
Alors lancez-vous. Il n’est peut-être pas trop tard.
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Sylvie Bardet. Auteure de thrillers psychologiques et de romans policiers.
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