Itinéraire d’une auteure indépendante
Je publie des romans en ligne sans contrat ni accompagnement depuis 2012. Six ans d’écriture intensive et quatre romans plus tard, il est temps de faire le bilan.
Certes, des avantages existent.
Je gère tout. L’écriture, l’édition du roman, le titre, la couverture, le choix du prix et des plateformes de vente. Personne pour me contraindre, me forcer à changer la fin ou m’imposer un titre embarrassant du genre : « Reviens avant de t’en aller ».
Mais les inconvénients sont nombreux, ils s’accumulent et grandissent à mesure que le temps passe.
Quels sont-ils ?
Je dois d’abord écrire un livre, sans contrat ni rémunération, sans savoir si le chemin dans lequel je m’engage ne va pas me mener droit à la pauvreté.
Le risque est énorme, le travail considérable.
Pas de vacances — pas le temps — , une interaction sociale restreinte et l’exploit d’avoir réussi une vie d’ascète (qu’un moine bouddhiste m’envierait) en plein cœur de l’effervescence parisienne.
Le silence absolu dont j’ai besoin pour écrire n’existe pas dans une capitale.
J’ai donc acheté un casque de chantier antibruit, inconfortable, mais très efficace pour taire le bruit extérieur et celui des voisins qui ne se déplacent jamais sans leurs meubles.
Quand je commence un nouveau roman, si je me dis qu’il reste 300 pages à remplir et un an de travail quotidien, j’arrête et je regarde une série TV en réfléchissant à de nouvelles idées de procrastination.
J’ai depuis longtemps banni ce type de comportement.
Écrire un roman, c’est une métaphore bouddhiste (encore eux !) du chemin sinueux sensé nous mener à l’éveil spirituel.
J’écris quelques mots, puis une phrase, la première du roman.
Je continue et la phrase devient un paragraphe, une page, et enfin, un premier chapitre.
Je prends ensuite une grande inspiration, et je recommence.
C’est la montagne que l’on gravit pas à pas, sans jamais penser à la distance et aux moult obstacles que l’on va devoir se taper entre le refuge au confort rudimentaire et le sommet encombré de drapeaux et de squelettes victorieux.
Quand enfin le roman est terminé, commence une nouvelle phase… de problèmes.
Il faut éditer son travail : relire le bouquin cinquante fois, le réécrire, affiner, aiguiser le texte, le scruter à la loupe, traquer la moindre faute, la virgule mal placée, la métaphore gnangnan et ce, jusqu’à l’arrivée des premières nausées. Cette partie, bien que longue et difficile, reste exaltante malgré le sarcasme utilisé jusqu’ici pour maintenir votre concentration à son plus haut niveau.
Je confie ensuite le texte à une relectrice/amie de talent qui va déceler ce que mon cerveau ne voit plus à force de gavage répété.
Je dois ensuite prendre cette décision difficile, celle qui va influer sur l’avenir de mon livre : cesser de le corriger et le considérer comme terminé.
C’est une drogue dure, un nid à pathologies obsessionnelles :
« Mais si, encore un peu, ce chapitre est bancal et ici, il y a une phrase qui gêne. Et la fin, mon Dieu, la fin, non, ça ne va pas ! Il faut la changer, tout réécrire, même le début ! »
Si vous ouvrez cette porte…
Il faut maintenant trouver un titre.
Et une couverture. C’est le début d’une nouvelle galère.
Heureusement, des agences de tout sont payées faire pour ça.
Mais avec un budget d’environ 50 €, on les oublie et on se tape tout soi-même : le travail de l’attaché de presse, du graphiste, du photographe, celui de la maison d’édition (de la cave au grenier) et du community manager.
Mon premier roman, écrit il y a de cela vingt ans, a été le plus difficile à produire. Il a eu les titres suivants : Des années d’incertitude, Entrée de secours, puis Maxi, pour enfin se nommer Les deux dernières.
C’est bien, au final, je n’en aime aucun !
Avec, à la clé, 50 versions et une bonne dizaine de couvertures dont la dernière, ici, qui reprend l’esthétisme de mes autres livres :
Le second roman, un thriller psychologique sorti en 2015, est le fruit d’un choix très risqué entre deux métiers: la photographie ou l’écriture.
Il a été dur à produire — c’est du noir profond — à cause d’un travail minutieux sur le style et la retranscription des sentiments tourmentés du personnage principal, Henry.
Le titre, en revanche, a posé moins de difficultés.
Le Designer, surnom donné à un tueur en série qui aime décorer ses scènes de crime, est devenu : Le Designer.
Je voulais aussi un slogan accrocheur après être tombée en extase devant celui du premier Alien : Le huitième passager.
Simple et brillant.
Alors, à mon petit niveau et avec ce qu’il restait de mon cerveau en miettes, j’ai lancé :
Les choses se sont compliquées avec mon troisième livre sorti en 2017.
C’est un thriller psychologique — paranormal sur les bords— construit en trois actes articulés d’intrigues et de nombreux rebondissements, pensé pour être adapté en série TV.
Il est, par conséquent, impossible à résumer en deux mots.
Pendant un an, je me suis arrachée un cheveu (je suis coquette) pour lui trouver un titre. J’ai même failli l’appeler Fait chier ! tellement j’en avais marre, car rien ne venait.
Idéalement, j’aurais aimé le nommer : Va au diable.
Ce titre colle parfaitement à l’histoire, mais rend le bouquin particulièrement difficile… à offrir :
— Bonjour, Clémentine. Joyeux anniversaire !
Après un an et demi d’écriture intensive — c’est mon roman le plus long, 428 pages — et de tergiversations, j’ai repris la phrase d’une comptine omniprésente dans le livre qui rappelle un interdit déterminant dans la vie du personnage d’Adèle : Tu n’iras pas danser.
Il est sorti avec une couverture dont l’obtention des droits pour l’image m’a coûté un véritable travail d’investigation et un voyage en Angleterre pour rencontrer l’ami du photographe en question — muet en ligne — , dont il n’avait aucune nouvelle.
J’ai des mois pour obtenir les droits ! Et des semaines pour réaliser le graphisme de cette couverture… que j’ai fini par changer récemment !
Pourquoi faire simple.
Concernant le roman que je viens juste de sortir (en octobre 2018), mon dilemme a été, l’année dernière, de le commencer.
J’allais arrêter l’écriture et changer de vie pour la énième fois, bien décidée à faire pousser des moutons en Creuse en trayant de la vachette.
J’ai passé trois mois sans écrire, perdue dans la sombre confusion de l’auteure épuisée, vidée, déterminée à arrêter.
Je n’avais plus l’énergie de me retaper tout ça, les doutes, les sacrifices, les milliers d’heures de travail sans revenus ni perspective.
Alors comment ai-je réussi à m’y remettre ?
J’avais depuis longtemps l’idée d’une histoire, concentrée en une seule phrase. Elle tournait en boucle dans ma tête : un message anonyme laissé dans un livre d’une bibliothèque va plonger un petit village dans l’horreur et le chaos.
Ce n’était qu’une idée, certes, mais une idée suffisamment intrigante pour succomber à l’envie de savoir : mais qui a écrit ce message anonyme, et pourquoi ? Le village va basculer dans le chaos, mais comment, pour quelles raisons ?
Il fallait que je sache ce qui allait se passer dans cette histoire qui n’existait pas. À tel point que je me suis remise à écrire. En me jurant que ce serait la dernière fois.
J’avais réussi à m’auto-manipuler !
Je me suis inspirée d’un tragique fait divers qui s’est produit en France en 1972 : les disparus de Boutiers. Un couple et leurs deux enfants se sont volatilisés avec leur voiture un soir de Noël, sans laisser aucune trace.
L’affaire, complètement réinventée, est devenue dans ce roman sorti il y a quelques jours (en octobre 2018) : le mystère des disparus de Rosemond.
Une fois la machine lancée, j’ai réussi à le terminer en un temps record : dix mois en écrivant tous les jours, jusqu’à l’épuisement.
À ma grande surprise, le titre a été clair tout de suite : SIGNES, en raison des méthodes atypiques d’investigation de mon personnage principal, Lise Stark. Tout comme la couverture, que j’ai réalisée en une semaine seulement.
J’ai dû ensuite créer le fichier epub pour la version numérique (et hop ! un nouveau métier d’appris), puis le fichier papier avec le logiciel Word installé sur un ordinateur fatigué. Le transfert sur KDP (la plateforme auteur d’Amazon) se complique toujours avec les longues prévisualisations qui impliquent à chaque fois de tout revoir.
J’ai bossé deux semaines entières sur les corrections de la version papier de Signes pour m’assurer qu’elle soit imprimée sans erreur. Je vous passe les envois d’épreuves, les ajustements de couvertures, et les échanges d’emails avec les plateformes de vente.
Au final, mes livres en ligne ressemblent à ceux des maisons d’édition.
Sauf qu’ils ont été réalisés par une seule employée.
Non rémunérée.
Les femmes sont multitâches, paraît-il…
On peut maintenant souffler et trinquer, me direz-vous.
Ben non.
Sans publicité ni promotion, le livre n’existe pas.
Donc, retour au graphisme pour créer une campagne de pub qui ressemble plus ou moins à une vraie. Quand c’est fait, il faut partager sur les réseaux sociaux, faire des cartes de visites, sortir et parler aux gens. Après un an d’isolement monacal, c’est un véritable choc culturel.
On ne sait plus s’exprimer ni se faire entendre.
Mais une promo sans budget, c’est mal barré, quels que soient mes efforts.
À moins d’un phénoménal bouche à oreille, d’une étincelle qui va tout enflammer et du facteur chance indispensable dans tout projet artistique, on est condamné à l’oubli !
Alors pourquoi s’infliger tout ça ?
Je n’en sais rien.
J’aime écrire des histoires. Et distraire les gens. Certes. Mais le risque est énorme et le prix à payer, l’âge aidant, exorbitant.
Il faut réussir à vivre de ses écrits dans un monde où ceux qui vous demandent de publier gratuitement n’accepteraient jamais de se rendre à leur travail sans percevoir de salaire.
Il faut réussir à vivre de ses écrits dans un monde où les écrivains ne sont rien et n’ont droit à rien tant qu’ils n’ont pas été publié par une maison d’édition. Cette règle aberrante n’a aujourd’hui plus aucune raison d’être. Je n’ai donc ni bourse ni statut juridique, malgré l’existence de mes six romans et plus de quinze mille lectures.
Sans écrivains, il n’y plus de pièces de théâtre, plus de films, plus de séries TV, plus de livres, que des chansons sans paroles et des manifestes à colorier.
Il n’est pas question ici de reconnaissance. Je ne la recherche pas. La reconnaissance, c’est une validation extérieure sur laquelle on n’a aucun contrôle, un shoot momentané suivi d’une chute brutale, un véritable poison qui tue les artistes quand elle disparaît ou n’arrive jamais.
La seule et unique reconnaissance saine, valable et disponible à l’infini qu’il faut trouver, est celle de soi envers soi. Le reste n’est qu’illusion.
En revanche, une sombre question, bien réelle celle-ci, revient toujours à la fin de chaque roman :
Dois-je continuer à écrire ?
SIGNES est sorti.
Je ne sais pas quel sera son destin.
Ni le mien.
Depuis l’écriture de cet article, j’ai écrit Toni Darke Résurrection, un thriller psychologique qui est sorti en novembre 2019 :
Et en 2021: Petits Crimes et Grandes Intrigues : Écrire un Roman.
Si vous le souhaitez, vous pouvez m’aider :
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